Amelgus

C'était une nuit bien noir. Plus noir que d'ordinaire. Le silence de la nature s'accordait au profondeur de cette nuit spéciale. Tout au fond d'une forêt touffu, et déjà bien sombre pendant la journée, vivait un peuple de gnome.

Ces petits êtres aimaient la vie et surtout la fête. Dans le village, en tout cas, il ne se passait pas une journée sans animation, une soirée sans fête et vénérer un Saint.

Pourtant, cette nuit là, rien ne se fit. Tous, comme un accord, allèrent se réfugier dans leurs maisons dès la nuit tombée. Pour une fois, le village resta calme toute une nuit. Elle parut longue, très longue. Surtout pour l'un deux. Il n'avait pas trouvé le sommeil, mais il resta dans son lit. Les anciens avaient conseillé le matin même qu'à la nuit tombée, qu'aucune lumière et qu'aucun mouvement ne devait être dans tout leur petit village.

Au milieu de la nuit, le gnome comprit pourquoi. Les anciens avaient perçu l'arrivé d'un être étrange. Chacun de ses mouvements faisaient frémir le moindre brin d'herbe. Sa respiration semblait prendre tout l'aire. Chaque expiration était une forte rafale de vent, et créait un brouillard de plus en plus épais. Il navigua un bon moment de son pas lent entre les petites maisons, à la recherche d'un petit être.

Le gnome entendait et sentait les tremblements de sa maison. Puis, c'était comme s'il y avait des hurlements lointain, semblant sortir des terres du petit peuple. "Peut-être les esprits de nos aïeuls criant leur peur", se dit-il.

A ces voix s'ajouta celle de la nature. Son silence devenant de plus en plus pesant était comme un cri sourd qui ne voulait pas sortir. La lune se cacha derrière des nuages plus noirs que la nuit. Les étoiles la suivirent. Cette nuit d'été était plus sombre que la plus sombre des nuits d'hivers. La nature manifestait elle aussi sa peur.

L'atmosphère autour de cet étrange visiteur était glaciale. Sortait-il des glaces du Nord ? Le petit gnome en doutait.

Il resta dans le silence un long moment. Il ne trouvait toujours pas le sommeil. Il écoutait les murmures de ce silence impénétrable. Il ne résista plus. Ce silence l'insupportait et le gênait dans son sommeil. La peur l'avait submergé pendant un temps, mais maintenant ne le paralysait plus. Il se leva. Il écouta. Il lui sembla ne plus entendre cet étranger. Il n'y avait que le lourd silence de la nature. Il se le permit.

Il se leva, marcha à travers sa maison, alla dans sa cuisine. Les volets n'étaient pas fermés, mais c'était tout comme. Il y avait quelque chose devant la fenêtre. Le gnome n'y prêta pas attention. Tout ce qu'il voulait, c'était de l'eau. Il sortit un verre du placard et le remplit. Il alla le boire à la table et s'assit dos à la fenêtre. Il but.

Il ne vit pas le mouvement au travers des vitres. Il ne vit pas la main aux longs doigts décharnés passer dans un mouvement lent et ample. Il n'a pu faire attention aux haillons suivant le mouvement du corps de cette étrange créature. Mais il entendit son souffle plus fort que jamais et les hurlements fantomatiques plus puissants que jamais. La peur le paralysa un instant. Il avala sa gorgé d'eau puis se retourna extrêmement lentement. Mais c'était trop tard.

C'est alors qu'il découvrit un visage qui l'observait au travers de sa fenêtre. Un visage décharné respirant lentement. Il ne bougeait pas. Il l'observait. Il vit le gnome stupéfier par le visage qu'il voyait. Ils restèrent un long moment à s'observer ainsi.

L'être décharné sortit une chose visqueuse de ce qui lui servait de bouche et fit comme s'il se léchait les babines.

Le gnome comprit enfin qui était ce visiteur indésirable. Aussitôt, il bondit de sa chaise et courra dans sa maison, se jeta sur la porte de derrière et s'enfuit dans les ruelles du village vers le cimetière. C'était, pour son peuple, l'endroit le plus sécurisant, car il était défendu par les esprits de leurs ancêtres.

Mais la créature, voyant sa proie se dérober, se releva et fit le tour de la petite maison. Son appétit grandissait. De son lent et long pas, il se mit à la poursuite du petit être.

Il accéléra son allure, courant de plus en plus vite et s'efforçait de ne pas se retourner.

Sa proie allant de plus en plus vite, s'éloignant de plus en plus, il s'accéléra aussi, ses mouvements étaient toujours aussi lents, mais il fit lever un vent qui le poussa vers l'avant.

Le gnome se retourna. Il avait cédé à sa tentation. Il vit alors dans unes des mains squelettiques de son poursuivant une grande faux. Il était vêtu de loques noires. Il le nit commencer à s'élever dans les airs. Le cimetière était loin. Il se demandait pourquoi lui ? Pourquoi elle l'avait choisi. Il ne comprenait pas. Dans un dernier effort, il essaya d'accélérer.

Voilà qu'il voyait les clôtures du petit cimetière. Il était presque sauvé.

En prenant son envole, la Mort allait de plus en plus vite. Elle rattrapa le peu de distance les séparant, tendit sa faux et retint le gnome. Elle le traversa.

Le petit corps tomba en avant dans un hurlement déchirant. C'était son âme qui était arrachée de force. Elle partit avec le spectre mortuaire vers les noirs nuages.

L'hurlement avait réveillé tout le village, mais personne n'osa ne serait-ce d'ouvrir les paupières.

L'atmosphère resta lourde, la Nature resta silencieuse jusqu'au petit matin. Seuls les cris fantomatiques avaient cessé.

Le lendemain, dès les premiers rayons du soleil, tous les habitants inspectèrent le village en quête d'un éventuel changement. Seul les enfants jouaient et riaient dans les petites rues, indifférent aux évènements de la nuit passée.

Ce n'est qu'au moment du repas, qu'une femme partit poser des fleurs sur la tombe de son mari revint en haletant, couverte de sueur, aussi pâle qu'un mort. Elle avait vu l'un des leur mort à quelques mètres de l'entrée du cimetière. Les anciens accoururent pour l'écouter.

Tout le village, sauf la jeune femme et les enfants, prirent le chemin du cimetière. Ils découvrirent le panier de fleur et un peu plus loin, un corps de gnome étendu. Les anciens affirmèrent sa mort. Ils ramenèrent le corps enveloppé dans un drap au village.

Le jour même, on fit les funérailles du défunt.

Au moment de la cérémonie, le plus âgé des anciens déclara :

"Comme vous le savez tous, notre cher ami Amelgus, blessé lors d'un tournois, puis prit  d'une fièvre inguérissable, avait ouvertement refusé d'accueillir la mort à son chevet. Il disait qu'il guérirait, et que même la mort ne pourrait empêcher cela, car il avait encore un travail à accomplir parmi nous. Rappelez- vous que notre guérisseur le considérait comme perdu, un gnome aux portes de la mort. Et pourtant, chaque fois qu'il était éveillé, il répétait sans cesse son défit contre la mort. Cette nuit, la Mort est venue en personne le prendre. Elle est venue relever son défit et a pris son âme. C'est le prix de tout défit contre la mort ou contre le diable. Rappelez-vous-en. Il y a des choses inéluctables, et des défis qui ne peuvent être relevés. La mort et le diable l'emporte toujours. De touts façon, la vie nous mènera toujours à la mort.

"Le dernier acte d'Amelgus s'est terminé cette nuit devant notre cimetière. Comme son âme nous a quitté définitivement, alors, il sera enterré dans le cimetière du nord, dans le cimetière sans âme. Un convoi de sept gnomes partira demain dès l'aube. Adieu Amelgus."

Et tout le village reprit en cœur cet adieu.

Le lendemain, le convoi partit pour sept jours vers le nord. Là, le corps fut enterré dans une terre sans vie, sans âme. Les gnomes, mal alaise, partirent le plus vite possible.

Au village, il n'y eu aucune fête pendant la semaine de ces funérailles exceptionnels.

Le convoi revint sain et sauf, et dès le soir de leur retour, les fêtes, ainsi que les journées animées reprirent leur rythme quotidien. Tout redevint tranquille dans le village des gnomes, dans cette tranquille forêt.

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